- Mais t’es passée où?
Jsuis pas là.
- On te cherche partout, qu’est-ce que tu fous?
Jsuis pas là jte dis.
- Ça veut dire quoi, «jsuis pas là»? Ça mdit pas où t’es ni cque tu y fiches.
Jsuis pas là, c’est tout.
- D’accord, d’accord, t’es pas là, on va s’contenter de ça.
Si tu le dis.
- Quelle éloquence, t’es pleine de verve dis donc!
Oui.
- Ca mène à quoi cette histoire? Tu parles plus, tu manges plus, tu vivotes.
Jsais pas.
- Et pourquoi t’es pas là? Pourquoi t’es partie?
J’ai pas choisi.
- On t’a obligé?
Non, c’est comme ça, c’est tout.
- Rien ne t’empêche de revenir alors.
Aucune idée.
- Tu reviens quand?
Jsais pas.
- Ça va pas durer indéfiniment non plus.
Je l’espère.
- Ah, une bonne chose, tu veux qu’ça change alors.
Bah, qu’est-ce que tu crois, que ça m’amuse?
- Jle crois pas du tout. Au contraire.
Voilà.
- Qu’est-ce qui t’empêches de revenir alors?
Moi. Enfin jcrois.
- Tu te rends compte que ce que tu mdis n’a aucun sens? T’es partie, pas à cause de toi, et tu peux pas revenir, à cause de toi cette fois. C’est du grand n’importe quoi cette histoire, faut que tu m’expliques, jveux comprendre, jvais aller te chercher s’il le faut, où que tu sois, qu’importe l’état quand lequel tu …
Mais ta gueule bordel ! Arrête de me demander comment ça va. Arrête de vouloir tout savoir, de vouloir que tout change du jour au lendemain. Ca n’a pas changé non, ça ne va pas changer. Jsuis pas là, jsuis pas là, qu’est-ce qu’il te faut de plus ? Un argumentaire bien détaillé sur les raisons du pourquoi, et puis du comment, et puis du quand aussi peut-être ? Mais j’en sais rien, merde alors ! Et jveux rien en savoir d’ailleurs. Jveux pas y penser. C’est aussi flou que le paysage à travers les vitres embuées par la pluie, tout ça. Parce que tu crois que ça m’amuse, c’est ça en fait. Tu crois que j’y prends un malin plaisir à vous proposer de la merde à longueur de journée. De pas être capable d’aligner deux mots censés sans parler trop fort et trop niais. Mon spectacle n’abuse personne et jme supporte aussi peu que vous le faites. Je déteste tout ce que je dis, tout ce que je pense, tout ce que je fais. J’implose, j’explose de le savoir et de pourtant ne rien pouvoir faire, pour ne pas le faire justement. Tu crois franchement que ça m’amuse d’avoir peur de la page blanche, de mes propres mots. Je crains mes écrits, passés et futurs, encore plus présents. J’ai la trouille des mots que j’aligne, de ce qu’ils cachent, de ce qu’ils dissimulent sous des airs de m’as-tu-vu, sous des formules bien trop lourdes et bien trop empruntées. Bien sûr que ça me divertit, j’en suis toute jouasse de cette peur, et puis de toutes les autres aussi. J’ai peur de lui, j’ai peur des autres, j’ai peur du changement, j’ai peur du non-changement, j’ai peur de moi, jsuis un véritable naufrage tu vois, et oui, j’adore ça ! C’est comme cette manie de refaire le monde, de chercher des excuses, de trouver que des défauts, de penser en négatif le fil des choses, et tout ça en miroir de ces putains de réflexions dont je me délecte et qui m’envoient six pieds sous terre toutes seules. Bah oui, pourquoi attendre les remarques désobligeantes, les reproches, alors que je peux très bien me débrouiller toute seule ? Tu vois comme je suis là, comme je suis moi, tu vois bien, hein ? Je souris de toutes mes dents, j’enchaine blague sur blague, pourvues qu’elles soient servies avec un verre de blanc. J’ai un sommeil plus réparateur que jamais, mais non, mais non, jfonctionne pas à la fatigue, j’attends pas l’épuisement comme le Messie, que le corps soit enfin exténué d’avoir trop pensé. Bien sûr que non ! J’adore avoir des envies de me cogner la tête sur les murs, jusqu’à en perdre la raison, juste pour passer le temps. Et la honte dans tout ça ? La honte, la honte, la honte, jt’en foutrais moi de la honte. Non, bien sûr que non que je ne la connais pas, que j’assume, j’assume et j’assume encore. Tu doutes, c’est ça ? J’ai pas l’air sérieuse là ? Regarde-moi bien en face et dis-moi que je ne te raconte que des bobards. Vas-y, je t’attends, j’ai tout mon temps. J’ai tout mon temps, j’ai trop de temps et pourtant, putain d’incapacité à la concentration, qu’est-ce que tu m’amuses toi aussi. On est devenues les meilleures amies du monde : faudrait pas que je perde mon temps à lire un livre non plus, faut pas déconner quand même. Oui, c’est ça, faut pas déconner, c’est pareil, quelle idée de vouloir se sentir à la maison. C’est bien pour les gens heureux ça, qui ne se demandent pas ce que c’est d’être à la maison, si c’est un lieu, si c’est une situation, si c’est une personne. Avoir un toit sur la tête est déjà un luxe, alors le reste, passons, passons, passons. Jme plais beaucoup plus à me laisser gouverner par mes émotions, par des réactions épidermiques, sans fondements, pour des choses insignifiantes qui n’ont ni-queue-ni-tête, objectivement. Tu sais, j’ai besoin que de moi, de moi, et de moi : au diable vous et vos questions, et vos vies, et vos envies. C’est cool de s’écouter parler, de faire les questions et les réponses, de s’inventer une vie, de s’inventer des problèmes. Et merde alors, oui, oui, j’ai rejeté ce qui allait se passer, parce que ça ne pouvait pas être, parce que ce n’était pas vrai, parce que ce n’était pas juste. Je ne voulais avoir aucune idée de ce qu’il se passerait. Et je me suis bien trompée. Je ne savais pas mettre de mots sur ce qui se passait : avec un air effrontément détaché, je n’y accordais aucune importance. Je me suis plantée en beauté, mais j’assume hein, j’assume haut et fort. Je me suis trompée. Pas un petit peu, pas juste comme il faut : je me suis trompée en long, en large et en travers. Je me suis trompée quand j’ai voulu croire que ça irait. Ce n’est rien qu’un petit bout d’histoire en plus : y’a plus qu’à attendre que ça prenne fin, hein, soyons réalistes, soyons honnêtes et attendons que ça passe, fais-moi rire tiens. Et ces putains de montagnes russes, tu t’imagines bien que je m’y complais, que j’ai pris des actions dans les usines de mouchoirs, y’a pas de petits bénéfices ! Bien sûr que c’est bien plus drôle de cultiver ce besoin irrationnel d’attention, de le pousser jusque dans son absurdité la plus totale. Regardez-moi, faites attention à moi, parlez-moi, adulez-moi. Bordel, mais vos gueules ! Ils sont passés où les gens qui ont des choses à dire ? Qui m’impressionnent et qui me fascinent ? Merde, et voilà que jme surprends à nouveau à me croire au-dessus d’autres. Tu sais comme j’aime ça, j’adore ça, jmen satisfais comme jamais. Tous les gens sont des cons, c’est bien connu. Pourquoi m’y abaisser hein ? Hein ? Tu vois, c’est moi tout ça, c’est moi, tu me reconnais, tu vois bien, tu peux pas t’y tromper. Et penser, penser et encore penser, les moindres détails: j’ai tout pensé, j’ai trop pensé. J’ai arrêté maintenant et ce n’est pas plus glorieux, alors ne m’emmerde pas s’il te plait. Ne m’emmerde pas avec tes questions que je me pose à longueur de journée. Ne m’emmerde pas avec des réponses que je ne veux pas connaitre. Ne m’emmerde pas avec un avenir qui n’existera pas. S'il te plait, jretrouverai peut-être un jour le chemin de moi-même, mais pour ce soir, basta.
Pardon, pardon, pardon.
Tu sais tout ça, tu sais que ça ira.
Pardon, pardon, pardon.