Elle fait couler l'eau. La vapeur remplit la pièce. La buée monte rapidement sur les vitres. Son reflet disparaît dans le miroir. La mousse envahit la baignoire. Elle enlève un à un chacun de ses vêtements qu'elle laisse négligemment tomber sur le sol brûlant. Elle coupe la musique des robinets avant que l'eau ne déborde. De la pointe du pied elle vérifie la température. Bouillant. Qu'importe. Elle se laisse glisser contre les parois. La radio restée allumée donne à la pièce un drôle d'air. Des multitudes de petites bulles se détachent des montagnes de mousse pour aller virevolter un peu plus loin. Elle s'amuse avec elles, soufflant dessus pour les voir refléter la lumière sur les carreaux. Les idées tournent dans sa tête. Il fait de plus en plus chaud. Des gouttes perlent le long des ses tempes. Elle ne bouge pas, immobile dans cette onde qui fleure bon les parfums de son enfance. Une enfant. Qu'elle n'est plus. Ses mains sortent de l'eau pour dessiner sur le carrelage blanc des visages et des mots. Elle a fermé les yeux pour tracer du bout des doigts ce qui danse derrière ses paupières. Son poignet se laisse guider par ces images et les notes qui résonnent toujours sur les murs humides de la pièce. Il retombe violemment dans l'eau. Les forces lui font défaut. Tout cela semble tellement réel que ça en devient insupportable. Des chimères. Des illusions. Elle se laisse glisser jusqu'à ne plus être en contact avec l'air brûlant qui flotte tout autour d'elle. Elle n'entend plus rien. Tout a disparu. Tout semble si calme ici. Les yeux toujours clos elle cherche ces utopies qui n'ont jamais cessé de lui renvoyer cette image idéale d'elle. Mais déjà l'air lui manque. Sa tête ressort précipitamment de l'eau. Cherche l'air. Inspire et expire bruyamment. Comme pour exprimer sa colère. Elle était bien là-bas pourtant. Tout semblait plus facile. Plus évident. Ces voix qui vous dictent votre conduite s'étaient tues. Ces rengaines de remords et de regrets avaient disparus. Ces « Et si » , ces « J'aurai dû » n'existaient plus. Ses cheveux dégoulinent le long de son cou. Les larmes dégoulinent le long de ses joues. Comme pour les accompagner. Ce n'est que de l'eau salée. Elles se mêlent aux gouttes d'eaux qui parsèment son visage. Elle ne s'en est pas rendue compte. Elle est là-bas. Dans sa tête. Dans son petit royaume. Dans ce monde que personne ne décide de venir explorer. Celui dont elle refuse peut-être l'entrée. A la radio, cette voix qui entonne un air connu. Elle fredonne sans bruit cette mélodie familière. Les mots écorchent ses lèvres. Cette chanson trop familière. Elle la connaît par cœur. Le téléphone vibre à l'autre bout du couloir et pourtant elle l'entend. Elle court décrocher. Transformant le sol en véritable piscine. Mais ce n'est pas sa voix. Celle qu'elle s'attend à entendre à chaque fois. Elle sourit quand même.